Travail du sol à la houe : 5 méthodes passées en revue

Comment être efficace avec cet outil et quelques conseils pratiques à l'usage des laboureurs

TECHNIQUE

morthelier

11/16/20218 min read

Nous prenons trop souvent la gestuelle des outils de jardin pour un travail sans noblesse.

Un ami me disait un jour qu'il prenait du plaisir à travailler à la hache, d'apprendre à la manier avec précision et efficacité. D'avoir la sensation de devenir meilleur de jour en jour qu'il l'utilisait.

Lorsqu'il m'a rendu visite, il m'a appris à bien utiliser une hache. En échange, je lui ai appris à utiliser une faux. Je lui ai alors demandé s'il voulait essayer la houe : non, pas la peine.

Je le comprends, puisque dans notre imaginaire le labour ne nécessite rien d'autre que de l'endurance sans avoir à mettre de cœur à l'ouvrage. Un travail dont on tire certes de la nourriture, mais peu de satisfaction dans le geste, dans l'impression de devenir de plus en plus habile.

Or, je pense que nous devons corriger ce point : le geste de celle qui laboure à la houe est aussi beau et habile de celui qui fauche à la faux, de celui qui bûcheronne à la hache. Je ne dis pas ça par romantisme, mais bien parce qu'il me semble que les outils lancés rendent les Hommes meilleurs.

Peut-être parce que cela nous apprend à utiliser notre corps, à synchroniser notre force avec celle de l’outil, son inertie et la gravité. Mais aussi à travailler autrement la matière, en apprenant à la lire et à comprendre comment nous l’impactons. Chose qui n’est pas possible avec des outils avec lesquels on ne fait que reproduire un geste sans habileté particulière si ce n’est de répéter celui-ci comme le ferait une machine.

In the Tennessee mountains - George Chambers, 1887
In the Tennessee mountains - George Chambers, 1887

In the Tennessee mountains - George Chambers, 1887
Découvert grâce au compte Instagram : la.terre.et.les.hommes

La houe est à la hache ce que la bêche est à la scie.

La bêche et la scie sont (par exemple) des outils dont le geste ne demande pas d'habileté particulière à l'usage, tandis que des outils comme la hache et la houe se montrent plus agréables à utiliser mais aussi plus performantes, à condition de les utiliser avec précision et conscience dans le geste.

Marcel Lachiver affirme que le travail fait à la houe permet de labourer jusqu'à 500m² par jour, tandis qu'à la bêche on ne labourerait que 200m² par jour et par individu.

Je ne vais pas trop entrer dans les détails ici, mais rendons nous bien compte que lorsque nous avons le choix entre un outil que l'on pose sur la matière à transformer plutôt qu'un outil que l'on lance, l'outil lancé a quasiment toujours un plus grand potentiel d'efficacité : cela puisqu'il bénéficie d'une force et d'une inertie supérieures pour transformer la matière.

Du point de vue de la pénibilité aussi, une houe bien aiguisée et bien emmanchée n'a pas de raison d'user le corps au-delà d'une fatigue normale en fin de journée. En revanche, la bêche oblige le laboureur à crisper ses mains sur le manche pour forcer une entaille dans le sol, à percuter l'outil avec son pied puis à soulever de la terre en tirant sur son dos. (Des techniques existent pour ne pas soulever avec le dos, mais elles sont bien trop contraignantes pour travailler de grandes surfaces).

Félix Arnaudin - les sarcleuses
Félix Arnaudin - les sarcleuses

Les Sarcleuses - Félix Arnaudin
Découvert dans l'article "Une histoire sociale des landes de Gascogne"

5 méthodes de travail du sol à la houe (dont une collective)

Maintenant que nous avons compris que la houe était un outil formidable - sans parler de ses avantages écologiques lié au travail en surface et à la conservation de la structure du sol - il nous reste à comprendre comment l'utiliser de manière à rendre ce travail aussi utile qu'agréable.

1. TRAVAILLER DE MANIERE ABSTRAITE

La première fois que j'ai travaillé avec une houe, j'ai tapé un peu n'importe où sur le sol et remué par-ci par-là jusqu'à ce que je sois satisfait du résultat final. C'est peu efficace mais cela fonctionne.

Je ne recommande pas cette méthode mais c'est peut-être l'une des plus répandues chez les débutants et les enthousiastes. Elle est suffisante sur une terre qui a déjà été travaillée au préalable, mais peu efficace quand il s'agit de convertir de la prairie en zone de culture.

2. TRAVAILLER EN MOTTES TRANCHÉES EN RANGÉES

Après une année complète à labourer n'importe comment, j'ai commencé à travailler autrement. Je commence par dégager une tranchée de terre sur tout un côté de la surface que je souhaite cultiver à la houe. Pour faire ça, je travaille en avançant à chaque coup de houe.

Ensuite, je me place perpendiculairement à ma bande. Et j'en fais une nouvelle, mais cette fois en travaillant latéralement. Je gagne aisément 30% du temps que je mettais avant pour la même surface.

Cela parce qu'en travaillant ainsi, les mottes de terre se détachent mieux les unes après les autres, comme des dominos. Tandis que lorsqu'on travaille de manière abstraite, les mottes sont parfois retenues par des racines que l'on n'a pas affaiblies au coup précédent.

Travail à la houe (modèle Cocconato) en mottes tranchées en rangées - vidéo Youtube

3.1 TRAVAILLER EN MOTTES BASCULÉES

Cette semaine, j'ai trouvé une nouvelle méthode qui consiste à dégager une tranché : plus que d'ouvrir une bande de terre, on creuse et on extrait les mottes (on les mets de côté pour plus tard).

Une fois notre tranché réalisée, on se place au bout de celle-ci et au dessus d'elle, un pied de chaque côté. C'est à dire que nous sommes placés parallèlement à la tranchée, et non pas perpendiculairement comme dans la méthode précédente.

On travaille à reculons, nous sommes donc au bout de la tranché et le reste de celle-ci se trouve derrière nous.

Étant droitier, je travaille le sol à gauche de la tranché car c'est ce qui me semble le plus naturel. Réfléchissez bien à ce point avant de vous lancer : faites votre tranché du bon côté de votre zone à cultiver.

J'ai donc un pied de chaque côté de la tranché, et je viens frapper le sol enherbé en haut à gauche de la tranché. Ma frappe s'inscrit en biais : elle n'est ni perpendiculaire ni parallèle à la tranchée, mais à 45°.

Ma houe se fiche en terre, tranche une motte jusqu'aux racines et laisse une sorte de charnière entre la motte et la tranchée. Je continue mon geste de manière à basculer cette motte dans la tranchée grâce à la charnière.

Cette méthode, même si elle demande une certaine précision (qui vient vite), a d'énormes avantages :

  • Elle permet de retourner la couche végétale. Les plantes qui étaient donc présentes sont privées de lumière et leurs racines sèchent à l'air libre.

  • Le travail n'est pas profond, les végétaux restent en milieu aérobie et se décomposent sous une surface de 15cm de terre.

  • Pas besoin de casser les mottes pour ensuite ratisser

  • La matière organique reste sur place et amende le sol

Je ne dirais pas que je vais plus vite qu'avec la méthode précédente, mais au final je pense avoir beaucoup moins de travail car pas ou peu de passages supplémentaires avant de semer.

On va 3 fois plus vite qu'à la bêche avec cette méthode, c'est beaucoup moins de fatigue et on travaille moins profondément.

3.2 VARIANTE PAR ADRIEN JAY

Adrien utilise la houe "Paesana" de forme triangulaire. Il a partagé avec moi sa méthode bien avant que je ne m'intéresse à celle que je viens de décrire.

Il est savoyard et travaille en pente, du bas vers le sommet. Il creuse d'abord une tranchée sur la bande du bas de la surface qu'il souhaite cultiver. Il travaille ensuite de manière perpendiculaire à cette tranché et en se déplaçant latéralement.

Adrien a remarqué que cette houe permettait de retourner les mottes d'un geste habile : d'abord, on enfonce la pointe de la houe 30cm derrière la tranchée, on tire pour décoller la motte et, simultanément, on fait pivoter la houe d'un coup de poignet. Cela a pour effet de relever la pointe de la houe et le bas de la motte, faisant basculer celle-ci dans la tranché.

4. TRAVAILLER EN MOTTES TRANCHÉES EN RANGÉES (MÉTHODE 2 AMÉLIORÉE)

Même principe que la méthode 2, une fois la tranché creusée sur un côté, on travaille perpendiculairement à celle-ci et en se déplaçant latéralement. Sauf que l'on fait deux passages : un premier passage où l'on scalpe la végétation, la faisant tomber au fond de la tranchée, puis un deuxième passage où la houe frappe profondément pour tirer la terre et ensevelir les végétaux.

On se retrouve avec les mêmes avantages que la méthode précédente avec le principe de basculer les mottes, mais je trouve que celle-ci prend peut-être plus de temps. L'avantage est qu'elle nécessite un peu moins d'habileté et de précision dans le geste.

5. TRAVAILLER A PLUSIEURS EN RANGÉES BASCULÉES

C'est une méthode que l'on retrouve dans plusieurs pays du monde et qui est encore utilisée au Portugal. Je vais citer le superbe travail de Colette Callier-Boisvert qui a étudié le sujet :

"Les laboureurs sont en ligne en station à peu près verticale, côte à côte, mais de telle sorte que les mouvements de la moitié supérieure du corps ne soient pas gênés par ceux des voisins. Les houes à long manche sont dressées en l’air à la verticale et lancées de façon synchrone avec force en direction de la terre. Le manche de l’outil dans le prolongement du bras assure l’accélération de la partie percutante qui arrive avec une grande force et se fiche en terre. Les lames sont enterrées sur une ligne, à environ 40 cm de la ligne précédente. À un signal vocal de la personne située au milieu de la rangée, tous décollent l’instrument par un léger mouvement de bascule vers l’avant et, d’un coup de rein en cadence, retournent une bande de terre de la longueur de la rangée des laboureurs et de la profondeur de la lame, soit environ 24 cm."

"La bande de terre est aussitôt émiettée en trois ou quatre coups légers par chaque travailleur (picar). Puis la rangée avance pour découper une nouvelle bande, en piétinant la terre retournée. Ainsi, à la différence du labour à bras à la bêche où les acteurs travaillent à reculons, le labour à la houe se pratique en avançant sur la parcelle à labourer, ce qui fait que le piétinement, autrefois des pieds nus, actuellement des pieds chaussés de bottes de caoutchouc, complète l’émottage."

Conclusion

Pour chacune de ses méthodes, il y a quelques éléments non négligeables : avoir une houe adaptée à sa terre, un manche assez long, et un tranchant bien aiguisé.

En espérant que ce travail puisse aider chacun à se passer d'outils complexes et onéreux, que ce soit pour une culture familiale ou communautaire, pour quelques légumes ou des céréales. C'est en reprenant le contrôle de nos outils conviviaux, que nous pourrons imaginer un autre modèle de société moins individualiste, plus sain et pérenne.

Thibaud Morthelier (Theud Bald)